« Préoccupé, on le sait, par la condition animale, j’ai décidé de faire par testament don de mon squelette à un invertébré. »
« J’ai perdu mes deux bras dans un accident me confia-t-il. On s’y fait, comme à toute chose. Vous savez, le plus pénible pour un manchot, c’est plutôt d’être continuellement confondu avec le pingouin. »
« Ne se nourrissent plus. Ne s’épouillent plus. Ne grimpent plus aux arbres. L’avenir des chimpanzés inspire de vives inquiétudes. Passent leurs journées à tripoter leurs quatre portables. »
Eric Chevillard
Gabriel Cornelius Ritter Von Max, Les singes jugent l’art, 1889
Nous sommes le courage l’une de l’autre L’autre de lune La somme des courages
Nous sommes un incendie Des fleurs de feu Des feux de fleurs Nous sommes la rage de l’autre Le cou de la lune Le courage d’un soleil Nous sommes le feu La somme des feux
Nous sommes un continent le pays des autres Nous sommes l’altérité Nous tenons par toi par vous Nous sommes l’étai en pente douce
Nous sommes la parole L’un sans dit l’une sans dire Nous sommes la somme des unes et des uns Nous sommes l’incendie l’une de l’autre
Leonor Fini, Les carcans, 1984
Texte écrit pour l’agenda ironique de mars proposé par Joséphine Lanesem. Il s’agissait de s’inspirer d’un slogan féministe sud coréen: « Nous sommes le courage l’une de l’autre » En ce lundi 8 mars, voici ma modeste contribution à une cause univers(celle) qui ne supporte guère l’ironie mais qui n’empêche pas la poésie…
« De film en film, le cinéma se dérobe, s’efface, s’échappe. Si bien qu’on n’est plus tout à fait sûr aujourd’hui de savoir à quoi il ressemble. À Hollywood par exemple, un cinéaste, ce n’est plus celui qui met à mal l’idée préétablie de ce que devrait être un film, mais celui qui consolide cette idée tout en y intégrant ses effets de signature. Le cinéma hollywoodien n’innove plus beaucoup depuis un moment, mais il continue de s’imposer partout dans le monde, retranché dans ses certitudes, celles-là mêmes que fustigeait récemment Godard dans le documentaire d’Alain Fleischer, celles qui, contrairement au doute, ne permettent pas d’avancer, mais font régresser. Or une régression, c’est un retour en arrière toujours hanté par son point de recul : le cinéma dans les films hollywoodiens, c’est sous une forme spectrale qu’on le retrouve, dont les effets sont trimballés comme autant de stigmates, d’une image connotée (un coucher de soleil) aux formes expressives (un travelling avant). Faire un film là-bas se réduit maintenant à bricoler avec une grammaire visuelle approximative qui n’est que le reste codifié (et momifié) d’un langage qui autrefois ne cessait de se redéfinir.
C’est précisément là que se situe la régression du cinéma hollywoodien, quand il ne peut plus que satisfaire la pulsion scopique sans alimenter notre désir de rêver, quand est mis à plat tout tenant et tout aboutissant, quand un film se suffit à lui-même. C’est alors qu’il n’a plus besoin de notre regard, qu’il n’a plus de désir, et qu’il n’existe donc pas. »
Bruno Dumont
Maison sur la voie de chemin de fer, Edward Hopper (1925) / Psychose, Alfred Hitchcock (1960)
« Le problème n’est plus d’amener les gens à s’exprimer mais de fournir des petits moments de solitude et de silence dans lesquels ils peuvent trouver quelque chose à dire. Les forces d’oppression n’empêchent pas les gens de s’exprimer, elles les forcent au contraire à s’exprimer. Quel soulagement que de n’avoir rien à dire, le droit de ne rien dire, parce que seulement à ce moment il devient possible de saisir cette chose rare et toujours plus rare : ce qui vaut la peine d’être dit. »
Gilles Deleuze
Jaume Plensa, Le Silence de la Pensée, Air, Water, Void, 2014